Depuis deux saisons, le Top 14 découvre Marcos Kremer, jeune troisième ligne de 24 ans du Stade Français au gabarit imposant (1,95m pour 115 kg), la barbe fournie et le regard noir perçant. Toujours à la limite de l’engagement, l’Argentin croisera la route des Bleus samedi au Stade de France avec le maillot des Pumas sur le dos pour sa 42e sélection. Il a fait de « l’intensité et l’agressivité sa force ». Aussi dévastateur sur le terrain, que timide au moment de se livrer à la caméra de RMC Sport.
Vous êtes originaire d’une région en Argentine où le rugby n’est pas un sport populaire, comment êtes-vous tombés dans le rugby?
Je suis né à Concordia dans la région d’Entre Rios (au nord-est de l’Argentine) et j’ai commencé le rugby là-bas, dans un club qui s’appelle Los Espinillos. Ce n’est effectivement pas une région où le rugby est très connu. Le football est le sport principal. J’ai commencé le rugby parce qu’un ami à l’école m’a invité à essayer. Il me l’a dit une première fois mais je n’y suis pas allé parce que je jouais au football avant, je jouais aussi au handball, au basket et d’autres sports. Il m’a demandé une deuxième puis une troisième fois, j’ai fini par y aller et j’ai découvert le sport de ma vie. Je suis parti à Rosario, à l’Atletico del Rosario, le club de Martin Rodriguez Burruchaga, où le niveau, l’entraînement sont bien meilleurs. C’était un changement de niveau et grand challenge pour moi. Aujourd’hui, je suis ici.
Ce qui vous caractérise sur le terrain, c’est cette agressivité, l’intensité… qui font parfois peur. Avez-vous conscience de ça? Est-ce quelque chose que vous cultivez?
Je suis conscient de ce que je peux dégager. C’est mon travail et c’est ce qui me permet d’en être là aujourd’hui. Je suis toujours dans l’intensité, dans la rigueur physique, à répéter les actions le plus de fois et le mieux possible. Je pense que je ne suis ni le plus rapide ni le plus fort, mais j’essaie d’y mettre ma touche personnelle sur d’autres aspects, et c’est peut-être le mental. Avoir beaucoup, beaucoup d’agressivité et faire tout à la perfection pour que tout se passe bien.
Est-ce votre force?
Oui oui c’est ça ma force. Ne jamais baisser les bras, donner toujours un peu plus, dépasser ses limites. Etre plus fort dans ma tête, c’est ce qui me caractérise et ce que j’essaie de faire.
Y a-t-il une différence entre le Marcos sur le terrain et en dehors?
Evidemment qu’il y a une différence. J’ai toujours été une personne humble avec de bonnes valeurs. J’ai toujours eu les pieds sur terre, je sais d’où je viens et où je suis. En respectant les autres toujours. Je me retrouve dans l’amour de la famille et dans l’amour que j’ai pour ce sport.
Quand vous vous regardez à la vidéo, vous reconnaissez-vous?
Je me reconnais oui, je sais que je suis comme ça sur le terrain. Mais bon, c’est le travail, c’est ce que je dois faire. Pour être acteur du jeu et important dans le jeu. Donc il n’y a pas de problème à être comme ça.
En France, le rugbyman le plus célèbre auprès du grand public, c’est encore Sébastien Chabal. Vous vous reconnaissez dans l’agressivité… et la barbe évidemment?
Je le connais oui, évidemment. Je sais ce qu’il a fait et voir son travail (en vidéo) me rend content, parce que je pense que c’était un grand joueur et il y a beaucoup de choses à copier, à imiter, pour essayer de m’améliorer. Je l’ai toujours comme modèle mais je crois qu’il faut aussi créer sa propre voie.
Le plaquage contre votre compatriote Thomas Lavanini, dans le match face à Clermont, a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. Ça vous a fait sourire?
Oui ça m’a fait sourire parce que on rentrait tous les deux du Championship, on avait besoin de changer d’air tous les deux. Thomas, c’est un grand ami. Mais je l’ai affronté comme si j’avais n’importe quel autre adversaire en face. Moi j’étais content car c’était une bonne action et rien de plus. Il était content de son changement d’équipe, de couleurs, et donc je suis content pour lui. On sera plus proches en plus donc c’est bien.
Marcos, la barbe, c’est pour faire un peu plus méchant?
Non non! C’est juste un style que j’ai et dans lequel je me sens bien. Il n’y a aucune autre signification si ce n’est de me sentir bien dans ma peau.
Le choix de venir jouer en Europe a été dicté par le Covid-19. Ce n’était pas votre choix de vie idéal?
Non ce n’était pas quelque chose que j’envisageais dans l’immédiat. Il me restait deux années de contrat avec les Jaguares en Argentine. Mais je l’avais en tête parce que je me disais qu’après ces deux dernières années de contrat, ce serait certainement le moment de venir en France, de changer un peu d’air, de changer un peu les choses et de penser un peu plus au futur. La situation en Argentine ne s’améliorait pas. Et on doit voir les choses en grand pour le futur, pour penser aussi à la famille et la vie de mes proches. Pour l’Argentine, la période du Covid a été très difficile. Avec la disparition de la franchise des Jaguares, ça a été quelque chose de très dur à accepter parce qu’à cette époque, nous avions de beaux succès avec l’Argentine. Nous jouions un grand tournoi contre de grandes équipes. C’était quelque chose d’incroyable pour l’Argentine et un grand plaisir. J’en garde des grands et beaux souvenirs. J’espère qu’on aura bientôt d’autres compétitions pour donner au rugby argentin du professionnalisme.
Comment se fait-il qu’autant d’Argentins jouent à Paris, que ce soit au rugby ou au foot?
Je pense que la raison c’est que Paris est une grande ville, très belle. Il y a beaucoup de rugby et de football, encore plus aujourd’hui avec Lionel Messi. Tous les regards sont braqués sur Paris. Mais il faut des victoires et des bonnes choses. Je pense qu’aucun Argentin ne vient juste pour venir à Paris, mais pour décrocher des victoires, les provoquer. J’espère que ça arrivera vite.
Y a-t-il une vie des Argentins à Paris? Arrivez-vous à vous retrouver, vous croiser en dehors des terrains?
Dans le rugby oui, on se voit beaucoup. Avec le football, c’est un peu plus compliqué. C’est une ambiance très différente. Mais je connais bien Juan Imhoff (ailier du Racing 92 ndlr) qui est très ami avec Mauro Icardi. Il voit un peu plus les footballeurs. Moi, pas tant que ça, mais il n’y a pas de raison à cela. Si cela doit arriver, ça arrivera. Mais c’est bien de rester sincère et de ne rien forcer.
Que représente Messi pour vous?
J’ai joué à l’Atlético de Rosario, lui est de Newells et Rosario Central. Le football argentin est très fort et Messi a joué petit à Newells. C’est une icône immense. Pour moi, c’est le meilleur sportif de la planète. Vraiment. C’est un gars admirable. Déjà pour sa réussite sportive, mais aussi dans sa vie. Il a une vie très tranquille et c’est en même temps une des personnes ayant le plus d’influence dans le monde. En cela, je l’admire beaucoup. J’aime beaucoup comment il garde ses valeurs et les pieds sur terre avec sa famille, ses enfants, toujours restant collé aux siens.
Avez-vous été voir un match au Parc des Princes?
Pas encore mais je vais essayer d’y aller. Je vais demander à Juan Imhoff pour qu’on puisse aller voir un match de Paris.
Porter le maillot de l’Argentine, ça représente quoi pour vous?
C’est quelque chose de très, très important pour moi, vraiment. Représenter l’Argentine, c’est la chose la plus merveilleuse, la plus grande qui peut t’arriver, enfin pour un Argentin. Donc c’est une fierté énorme et porter ces couleurs, ça signifie aussi une exigence, faire les choses de la meilleure des manières possible. Je crois que chaque personne qui porte le maillot argentin sur le dos a la possibilité d’apporter quelque chose, de se transcender. Dans l’histoire du rugby, du football ou de n’importe quel autre sport, porter ce maillot te pousse à donner plus que tu ne le pourrais pour gagner.
Arriveriez-vous à décrire ce que l’on ressent pendant l’hymne?
C’est beaucoup de sentiments, de choses qui se bousculent. Tout le travail que l’on a fourni, toutes les choses que l’on a traversées pour se retrouver là. Je crois que pour aucun de nous, pour aucun sportif professionnel, la vie n’est facile. Donc c’est une chose à laquelle on pense dans ces moments. On pense à la famille, aux proches qui ne sont plus là, à un tas de choses qui te rendent euphorique, te donnent beaucoup de joie.
Il y a un an vous battiez la Nouvelle-Zélande pour une premier historique mais depuis, les résultats ne sont plus à la hauteur de cette performance…
La victoire contre la Nouvelle Zélande a été victoire très, très importante pour l’histoire du rugby argentin. C’est la plus grande victoire, une reconnaissance. Mais après ce Rugby Championship réussi, on a eu les tournées d’été et le Championship de cette année, qui n’ont pas été une réussite. Mais le travail a été fait et nous avons confiance dans le fait que ça va bien se passer. Il faut que l’on continue avec l’objectif du Mondial 2023. Mais on sait qu’on travaille bien, que les choses vont dans le bon sens. La seule chose avec laquelle on a du mal, c’est maintenir tout ce travail pour l’amener sur le terrain. On a une nouvelle opportunité de jouer avec l’Argentine pour essayer de concrétiser ce travail et cette confiance, pour tenter de grimper les marches de la meilleur manière possible et aborder le Mondial dans les meilleures conditions.
L’incident de la photo des capitaines du dernier Rugby Championship (l’organisateur de la compétition avait publié une photo des capitaines mais sans le capitaine argentin) était-il juste anecdotique ou l’illustration d’un manque de respect plus profond des nations du sud envers l’Argentine?
Ce sont des choses qui arrivent, qui sont passées. Rien de plus. Il faut regarder devant, regarder ce qui vient. Ce qui est passé est derrière nous et il faut plus se concentrer sur le présent et le futur, faire en sorte que tout se passe bien avec des victoires et des succès.
Votre premier match de la tournée est contre la France, on imagine que ce sera un match particulier…
Oui évidemment, c’est particulier de jouer contre la France. On a toujours le goût amer concernant notre défaite contre la France lors du dernier Mondial (premier match de poule ndlr) qui nous a éliminés. Amer parce qu’on a perdu de peu (23-21) et pour d’autres choses, on assume. Mais ça sera un match particulier. Je pense qu’il faut mettre tout ça de côté et penser au futur et à l’objectif majeur, qui sera le Mondial en France en 2023. Il faut qu’on se remplisse de bon moments et qu’on gagne en confiance. Je pense que ce sera une meilleure énergie que les souvenirs passés.
L’objectif de cette tournée pour l’Argentine, c’est d’engranger de la confiance en vue du Mondial?
Oui je pense que c’est ça. C’est de commencer à gagner des matchs, construire une équipe aux bases solides. Nous sommes bien conscients que lors du dernier Rugby Championship on a joué contre trois des meilleures équipes du monde et ça n’a pas été facile, mais ce n’est pas une excuse. On a besoin de confiance et donc de victoires. On a besoin de passer des bons moments ensemble pour que l’équipe gravier des échelles et grandisse.
Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération de l’équipe de France?
La nouvelle génération de cette équipe de France est incroyable. Elle a un gros niveau à tous les postes. Il y a plusieurs très bons joueurs sur chaque poste. Ils ont un effectif large avec un niveau très très haut. Je suis content pour eux, pour mon coéquipier Sekou Macalou, avec qui je partage pas mal de matchs et qui sera dans l’équipe. Mais nous, on se concentre sur nous, et on ne se laisse pas influencer par tout ça. Mais c’est vrai que la France a beaucoup de très bons joueurs et sera un candidat pour le titre mondial en 2023.
Qu’est-ce qui vous plait le plus, et le moins, dans la vie à Paris?
J’aime beaucoup parce qu’on a tout à Paris. C’est un grand privilège de vivre ici. La famille y est bien, moi aussi. On a tout ce qu’il faut à proximité. Il y a beaucoup de choses à faire. Après, ce que j’aime le moins, c’est de vivre dans un appartement (il sourit ndlr). Je n’étais pas habitué à ça en Argentine mais bon… ça va! Je préfèrerais avoir une maison pour faire le barbecue et avoir un jardin. Ça me manque un peu mais c’est normal, c’est la vie à Paris. C’est très très difficile d’habiter dans une maison ici donc on va rester tranquille dans l’appartement. Mais ça me manque oui, les asados.